36e parallèle y otros paralelos

Notes d'intention (suite)

SPECIFICITE DE LA CHOREGRAPHIE
Organisation complexe et extrêmement fragile, la mémoire du corps vacille sous les images de nos écrans télévisés, et enfouie, au plus profonds d'elle-même, ses secrets, sans se soucier ni de leur fonctionnements, ni de leur dysfonctionnements.
Il sera question à chaque instant de remettre en jeu son corps, son regard, ses gestes, ses paroles, notre histoire, méticuleusement, minutieusement mais sans retenues, sans clivage, libre de toutes contraintes esthétiques connues.
La gestuelle prendra forme selon une construction heurtée où les mouvements allant de l'immobilité presque engourdie à l'amplitude saccadée offrent une chorégraphie pleine d'aspérités suffocantes mais également de respirations. La souplesse, la retenue, l'instabilité sont autant d'axes de travail sollicités.
Les deux jeunes femmes s'observent du coin de l'œil, franchissent et traversent les deux espaces en se lançant d'un territoire à l'autre, en se portant vers une zone de haute turbulence.
Les corps (territoire de chacun) et les gestes sont à la fois fermes et ébranlés en une douce distorsion, distorsion des corps sonores et des images physiques qu'ils offrent en interactivité avec la situation qui est en train de se développer en elles et autour d'elles.
Nous aurons en mémoire le travail de Jean Rouch et "l'hérésie" de son saisissant document Les maîtres fous.

 

SPECIFICITE D'UN TERRITOIRE SONORE
Autour de la composition d'un territoire sonore s'organisent des mécanismes sonores propres aux corps des danseuses mais aussi propre aux résonances avec la composition des images projetées. Ainsi chaque protagoniste, qu'il soit interprète, texte, son, image ou lumière, communiquent entre eux, prennent rythmes, s'organisent, se perturbent et luttent pour se forger un espace en territoire sensoriel des plus vaste.
Escamotés de nos mémoires, des fragments de sons prennent formes et se déroulent en composition musicale simultanée. Chaque fragmentation sonore a son rythme biologique qui lui est propre. Leur langage est celui des vibrations du corps, du tremblement, du battement, du souffle, du soupirs, du silence, de ses frottements avec le sol, l'air, la lumière. C'est ainsi qu'elles communiquent, ancrées sur un territoire sonore; ici, de la respiration, du corps, de l'humain, des sons, des mots, à l'image de l'homme, captés et amplifiés en oscillations qui les rendent mortels...

 

SPECIFICITE D'UN TERRITOIRE MULTI-IMAGES
Après la pensée unique, voici donc le temps venu de l'image unique.
Un véritable combat se joue autour des images et de l'image ; manipulations des images, manipulation de l'image. L'ensemble des images nous mène vers une seule image.
Malgré la quantité vertigineuse d'images, on aurait pu espérer se libérer de la manipulation des consciences, mais la manipulation de l'imagerie d'aujourd'hui consiste à nous faire croire que l'on est, non pas, dans "les réalités" d'un monde mais dans le "réality show" du monde. Même et unique téléspectateur de ce qui nous est présenté comme une seule véritable image-vérité-indivisible.
Qu'est-ce que l'on veut montrer de soi ou aimerait cacher ?
Qu'est-ce que l'on croit voir chez l'autre ou aimerait qu'il soit ?
Comme si tout ce que nous étions, se résumait à une seule et unique image, celle que l'on voit.
Alors on enferme l'autre dans des stéréotypes car cela nous rassure, on se montre sous des beaux jours car cela nous rassure. Et l'image que nous avons de l'autre est évidemment véhiculée par toutes les images que les médias nous envoient.
Une image très accessible mais très contrôlée, une image que l'on veut nous faire croire libre et objective parce que l'on peut soi disant la choisir (des centaines de chaînes TV, des milliers de sites Internet...).
Logiquement avec tout cela les relations entre les peuples devraient s'améliorer. Mais nous sommes plus proches de « Big Brother » que de l'information nécessaire, du choc des civilisations que du temps de la réconciliation

 

L'IMAGE INFRAROUGE
L'infrarouge nous paraît extrêmement intéressant pour le rendu brouillé de l'image mais aussi pour son aspect inquiétant, tout aussi coloré, lumineux, où les corps sont comme irradiés par le prisme d'une lumière invisible qui les traverse. Ce type de caméra permet de reconsidérer le corps dans son mouvement. Elle radiographie dans l'obscurité sa chaleur intérieur dégagée. L'énergie d'une silhouette vivante, se déplaçant à ras du sol, se frayant un passage, "l 'aura" visible d'un corps dans l'obscurité que l'on traque en infrarouge, et qui nous tient en haleine le temps d'une vision saturée. Cette image thermographique est tout à fait adaptée à notre propos pour ce qu'elle représente et ce qu'elle nous apporte comme support esthétique et dramaturgique.
La vision de l'image de vidéosurveillance valide ainsi la véracité du document filmé, le télescopage des images peut enfin commencer.
Par ce type de procédés de télescopages d'images vidéos et de vidéosurveillances, il s'agit d'aller de tensions en distorsions.
Oui, 36e parallèle est le corridor de toutes les distorsions et tensions sur lesquelles les stéréotypes plaqués sur nos visages rejaillissent.
Les parallèles faits, nous avançons le constat que nos imageries se confondent et se réduisent à une seule image.

 

LA VIDEOSURVEILLANCE
Avec la vidéosurveillance, quelle vision de l'Autre avons-nous ?
La peur de l'autre nous fait perdre la dimension humaine du drame.
Aujourd'hui, la distorsion de l'imagerie se déploie en mode sécuritaire.
Le contrôle s'organise autour d'échanges de fichiers et de données mais aussi par captages d'images sous toutes formes en temps réel archivées dans les disques durs de puissants ordinateurs.
L'imagerie sécuritaire s'impose donc comme l'élément fondateur de notre nouvelle société terrorisée.
Notre travail, notre proposition d'utiliser "l'imagerie" dans tout ses états maîtrisés doit nous permettre de pointer le détournement de nos imaginaires vers "l'image unique".
Une seule et unique image afin que la peur s'y installe, et que de cette peur, l'image dangereuse de "l'autre" devienne omniprésente, préoccupante et obsessionnelle : la peur qu'il bouge, la peur qu'il passe, la peur qu'il vienne, la peur qu'il nous...

 

SPECIFICITE D'UN TERRITOIRE INTERACTIF
Sans lui imposer une quelconque histoire narrative, l'auditeur-spectateur est invité à se laisser aller aux émotions, aux souvenirs sensoriels de certaines images et de certains sons et mouvements puis de reprendre ses esprits.
Les deux jeunes femmes agissent sur les images : un geste, un mouvement, une prise de parole, un cri, un murmure, un son, un bruit, peut déformer l'image, la ralentir, l'étirer, l'agrandir.
Du relief. Les images préenregistrées se dérobent derrière la rugosité des images en temps réel relayées par différentes méthodes de captage en direct.
Du jeux à la traque, surexposé ou sousexposé, l'univers contrasté se donne ainsi à voir, à entendre et à ressentir.
Des caméras de vidéosurveillance, installées à certains endroit du plateau, filment, à leur insu, les deux corps en mouvement.
Une mini caméra vidéo se trouve sur le plateau et peut à tout moment être utilisée par l'une des deux jeunes femmes pour se filmer ou filmer « l'autre » en temps réel et ainsi intervenir sur le déroulé des images projetées sur le panneau-écran .
Le mélange d'images préalablement filmées à Tanger et à Tarifa et de séquences filmées en temps réel durant la représentation constitue notre matière scénographique interactive. Le mariage des prises de vue dites « live » et de celles "mise en boite" que l'on peut détourner et transformer à volonté nous installe dans le vif du sujet.
Nous pouvons imaginer que ce sont les images "qui mènent la danse", mais aussi le contraire, que ce sont les interprètes qui agissent sur les images.

« Il est à mon avis certain que tout art est investi par les puissances refoulées d'une enfance… La création artistique est l'exemple le plus accompli de ce qu'est une sublimation des désirs inconscients. C'est la raison pour laquelle le grand art peut être à la fois provoquant, transgressif, et universel. La subjectivité humaine reconnait en lui la force irrésistible des traces cachées des désirs… Il éprouve dans cette reconnaissance un trouble suspect en même temps qu'une admiration rationnelle. C'est ce mélange que nous appelons le sentiment du Beau. » Alain Badiou, Éloge du théâtre, 2013.

"Le divertissement généralisé"

Nous vivons sous le règne de la banalisation par l’effet de la consommation, sous le régime de l’aliénation des individus par l’effet du divertissement généralisé d’une forme d’étourdissement par lequel les individus sont siphonnés. lire la suite