Trilogie pour un geste de survie
TROIS PIECES CHOREGRAPHIQUES
et
DEUX RENCONTRES ARTISTIQUES
PAROLES ET CORPS D'IMMIGRATION à Toulouse
MIGRATIONS ET DANSES EN MÉDITÉRRANÉES à Séville
3. identité(s) en création
HUMAN FAIR
2. territoire(s) réalisé
36e PARALLÈLE Y OTROS PARALELOS
1. mémoire(s) réalisé
SOLOSOLILOQUE
L’Ajour (31) en collaboration avec le metteur en scène/chorégraphe Franco-Espagnol-Marocain Alexandre Fernandez, a entamé depuis Septembre 2004, une recherche et une réflexion sur le thème de l'immigration et c’est dans ce contexte qu’il fut invité en résidence artistique durant une année à Endanza Lugar de Creacion à Séville. (saison 2004/2005).
De cette première rencontre avec nos voisins espagnols est né le projet d'une trilogie intitulée : "Trilogie pour un geste de survie" qui s’articule autour de trois axes de travail : Mémoire, Territoire, Identité(s) chacun donnant lieu à une pièce chorégraphique faisant intervenir des artistes et acteurs culturels espagnols.
Avec le projet « Trilogie pour un geste de survie » Alexandre Fernandez engage sa démarche artistique vers des thématiques directement liés à des faits de société et d’actualité. Il interroge les possibilités d’une démarche artistique engagée.
Le geste artistique engagé peut-il aboutir à une création dénué de tout affect et émotion ordinairement suscités par certains thèmes d’actualité sensibles comme celui de l’immigration ?
Comment distancier l’objet ou le fait observé pour mieux en extraire une matière de travail ?
Et comment réintroduire cette matière « vivante », débarrassée de toutes aspérités affectives, dans une prise de parole ou un geste chorégraphié ?
Il s’agit d’écrire d’une écriture sur le point de partir du point névralgique d'où est parti l'immigration de mes ascendants et de composer une pièce à la langue multiple. Il s’agit d’y traiter l’évidence d’un monde violent , et d’y malmener mes deux espaces immédiats, l’un intérieur (l’intime), l’autre extérieur (le collectif).
Il s’agit d’y intégrer le thème de l’immigration et d’aller au delà des idées reçues.
Mais aussi il s’agit pour cette création d’ouvrir un véritable chantier « à ciel ouvert » et y concilier différentes disciplines artistiques. Une création par amorces, par échange de points de vues et partage d’expériences individuelles, par mouvements d’assemblages. La création d’une fresque sensible et physique de notre monde intérieur (intime) et de son devenir dans notre monde extérieur (collectif). La confrontation d’un premier espace immédiat d’écriture, l’intime, à celui omniprésent d’un monde mercantile, espace collectif, où l’on s’efforce de toute part d’unir ce qui est différent, d’effacer les particularités et les personnalités de chacun, où l’on s’efforce de fondre l’individu dans un même moule pour obtenir un seul bloc humain consommant le même produit. Globalisation mercantile du monde où chaque individu n’est plus que le produit de ce qu’il consomme.
La compétition en principe fondateur, instituant un état de guerre permanent où l’Autre est désigné comme concurrent à surpasser, ennemi à abattre. Ainsi va la stigmatisation des immigrés comme bouc-émissaires. Reste que cett oe mécanique meurtrière désigne les coupables à poursuivre. L’état actuel du monde fait parti intégrante de ce travail, il compose un ensemble d’éléments à questionner, et, sur lequel s’appuyer. Notre travail de dessaisissement du corps et de la mémoire affective, s’effectuera sur cette base de données.
Combat, mise en déroute, perte de soi, dévouement, bégaiements, hésitations, égarements, déplacements, mouvements, allures, dérives... Cette création s’effectuera donc, dans la dualité des contraires, du corps comme de la langue, forme hybride, forme bâtarde comme je le suis, je veux dire humain, c'est à dire mitigé, je veux dire, dans le paradoxe, avec toutes les oppositions de “nos mondes” qui se juxtaposent, avec toutes les contradictions que ça suppose, avec toutes les combinaisons qui s'imposent d’elles mêmes...
Outre, le temps accordé aux prises de contacts et aux investigations, il est indispensable, dans un premier temps, d’aller à la rencontre d’artistes espagnols, en proposant des ateliers et des stages de formations, puis, dans un second temps, de composer à partir de ces rencontres le ”noyau dur” de l’équipe qui aura la charge de mener à bien ce projet.
L’espace pédagogique s’organisera autour d’ateliers de formations hebdomadaires et de stages réguliers, orientés sur un travail physique autour de textes d’auteurs contemporains français (traduits en espagnol) traitant le thème de l’exclusion, tel que Bernard-Marie Koltès. Cet espace fonctionnera comme un laboratoire et sera une sorte de « vivier » dans lequel des personnalités pourront se rencontrer, et, partager un espace commun d’expérimentations. Il permettra ainsi de mettre sur pied l’équipe artistique qui aura la charge de mener à bien le projet de création.
Une vie de travailleur immigré, qu'est-ce que c'est ?
Pour répondre à cette question, en toute connaissance de cause, il faut, dans un premier temps, l'avoir vécue intensément et, comme on dit, « sans trop y réfléchir » ; il faut aussi que, à la faveur de quelques circonstances propres à favoriser la distanciation, le décès des parents l'émancipation des enfants, garçons et filles, la maladie, l'accident de travail, la préretraite et la retraite, autant d'occasions d'éprouver la vacuité d'une existence qui n'a de sens que par le travail, se soit constituée peu à peu cette disposition particulière qui permet de « se tenir à l'écart de la vie et de ses mensonges », c'est-à-dire de ses vanités, formule quasi rituelle de la sagesse traditionnelle, ici employée au sens plein : « suspendre (sa) vie pour la regarder comme elle fut », la dérouler devant soi comme un objet d'observation, auquel on appliquerait précisément toute la puissa °nce de réflexion dont l'expérience acquise au long de cette vie a doté ceux qui ont le souci de « se connaître et de connaître la vie en dépit de ses tromperies (ghadra: le piège, la trahison) ».
Abbas, qui parle en ces termes, est de ceux-là. Ancien ouvrier, aujourd'hui en retraite, d'une grande entreprise industrielle de la région parisienne, il est, à sa manière, un intellectuel. Plus que les indications, brèves et allusives, qu'il donne sur ses origines sociales (« mon père n'était pas fait pour être fellah »... « mon grand-père était le lettré de la famille, il a toujours vécu du Coran »), c'est tout son discours qui en apporte la preuve, et en particulier, cette sorte de distance à l'égard de soi-même qu'il appelle douloureusement « le divorce d'avec moi- même ». Associant l'expérience directe longuement éprouvée de la condition d'immigré et la posture réflexive qui permet d'élaborer, pour soi-même d'abord, sa propre expérience, de la soumettre à un examen critique et, plus rare encore, de la communiquer aux autres, sur le mode de la narration en apparence la plus ordinaire (comme ici), il échappe à l'alternative ordinaire de l'expérience muette et du discours vide sur une expérience inaccessible (le monde de l'immigration et l'expérience de ce monde sont sans doute parfaitement fermés à la plupart de ceux qui en parlent). Avec lui, l'enquêté et l'observé se fait enquêteur et observateur de lui-même, la présence de l'enquêteur « professionnel» n'étant que l'occasion attendue de livrer à haute voix le produit longtemps réfléchi et mûri (« j'ai bien réfléchi à tout cela... Plus exactement, je n'arrête pas de réfléchir, de tourner et de retourner toutes ces questions au fond de moi ») de son enquête sur lui-même. Produit qui n'est pas loin de s'identifier à celui de la science dans la mesure où l'enquêteur et l'enquêté, ayant le même intérêt à l'enquête qui les réunit, s'accordent, sans concertation préalable, sur la problématique, l'enquêté se posant lui-même les questions que l'enquêteur aimerait lui poser. | lire la suite